Cleopatra

Editions
Sortie en DVD / Blu-ray10 juillet 2018 (Eurozoom)
Synopsis

Dans un futur lointain, l’humanité fait face à la menace de la planète Pasatorine dont les dirigeants évoquent un mystérieux « projet Cléopâtre ». Trois terriens, Mary, Jirou et Hal, sont alors envoyés dans le passé, à l’époque de la reine éponyme, afin de connaître la nature de ce projet. L’âme de Mary est transférée dans le corps de Lybia, une jeune résistante égyptienne ; Jirou devient Ionius, un esclave de Jules César tandis que le dragueur Hal, qui espérait conclure avec la reine – son âme ayant été programmée pour aboutir dans le corps d’un de ses compagnons – se retrouvera dans la peau de Rupa… un léopard apprivoisé !
Ensemble, ils seront témoins et acteurs des événements secouant l’Égypte ancienne, en proie à la colonisation romaine menée par Jules César : face à la capitulation de Ptolémée XIII, la servante Apollodonia confie la sœur de ce dernier à un sorcier qui va transformer la jeune femme au physique ingrat en une sublime créature destinée à assassiner César. Mais les doutes et les sentiments vont finir par s’en mêler...

Commentaires

Après le succès des 1001 Nuits en 1969, Osamu Tezuka poursuit sa série de longs-métrages sous le label Animerama. S’il fut satisfait du travail effectué sur ce premier volet – lui qui se disait souvent déçu des films auxquels il participait –, ce fut moins le cas de son second Eiichi Yamamoto qui regretta de ne pas y retrouver la patte du maître. Aussi, Yamamoto demanda à Tezuka de s’impliquer davantage dans le film suivant en tant que co-réalisateur, ce que ce dernier accepta. Toujours dans l’optique d’offrir un spectacle moderne teinté d’érotisme, le sujet du second volet fut tout trouvé en la personne de la reine Cléopâtre VII ; en plus d’être une figure historique marquante mêlant séduction et pouvoir, les adaptations théâtrales de sa vie écrites par William Shakespeare (1606) et George Bernard Shaw (1898) sont très connues au Japon.
Ajoutons à cela que Tezuka était depuis déjà fort longtemps inspiré par la pharaonne : en effet, bien que dans un traitement très différent – la reine d’Égypte y est un robot conçu par le professeur Baribari qui l'utilise pour parvenir à ses fins hégémoniques –, il avait mis en scène le personnage dès 1959 dans le manga Tetsuwan Atom (Astro Boy), dans le chapitre 31 « Le secret des conspirateurs égyptiens », cette aventure étant adaptée par la suite dans les 44ème et 45ème épisode de la première série d'animation donnant vie au dit manga à l'écran, puis encore dans la deuxième série d'animation d’Atom/Astro (dans le 31ème épisode).

Mais si la base est trouvée rapidement, la production allait s’avérer bien plus délicate : en l’espace de quelques mois, l’industrie de l’animation japonaise connaît un bouleversement rapide avec une télévision de plus en plus gourmande en programmes, mobilisant les différents studios sur une production de masse, avec peu d’embauches pour faire face à la demande. Dans un tel contexte, la Nippon Herald Films ne peut pas se permettre de consacrer autant de temps que pour Les 1001 Nuits et décide de programmer Cleopatra pour une sortie dans les salles japonaises le 15 septembre 1970 ; le délai est donc plus serré mais l’équipe achèvera le film dans les temps.

Si le style de Tezuka pouvait être considéré en retrait dans le premier Animerama, il imprègne véritablement Cleopatra sous tous ses aspects : on y retrouve sa façon toute personnelle de mêler légèreté et cruauté dans sa narration, son rythme alerte et son graphisme tout en rondeurs, davantage affirmé. Le récit donne pleine mesure à la tragédie et au burlesque qui se déploient en parfaite symbiose, dans un esprit de décalage constant. En témoignent les nombreux anachronismes, les jeux de couleurs fantaisistes (avec notamment un Jules César blond à peau verte), ainsi que des caméos de personnages de Tezuka (Astro Boy, Oncle Moustache) ou de mangas tels que Kitaro le Repoussant ou Kamui Gaiden. Les délires plastiques sont plus débridés que jamais, entre le triomphe de César représenté par un défilé de peintures célèbres où sont cités Degas, Delacroix, Modigliani, Picasso et bien d’autres, ou une scène d’assassinat intégralement narrée selon les codes du théâtre kabuki. Les scènes érotiques ne sont pas en reste avec des corps représentés de façon minimaliste ou reposant sur de doux aplats de couleur, mais aussi un passage simulant une déchirure de la pellicule en guise de censure amusée (procédé que Tezuka exploitera à plus grande échelle dans son court-métrage Le Film cassé en 1985). Ce brassage d’influences qui élève la rupture de ton en esthétique absolue fait de Cleopatra une œuvre aussi déconcertante que jubilatoire.

Pourtant, sa réception sera loin d’être aussi heureuse que celle des 1001 Nuits : non seulement le film fut un échec critique et commercial, mais en plus Tezuka classera Cleopatra parmi les œuvres dont il est le moins fier, frustré de ne pas avoir eu le temps nécessaire de développer le storyboard comme il le souhaitait.
Cet échec peut s’expliquer de plusieurs façons : il y a déjà l’aspect inégal pouvant ressortir d’un mélange d’éléments aussi hétérogènes, à commencer par l’argument de science-fiction assez léger qui ouvre le récit. La scène d’introduction laisse à ce titre une mauvaise impression : les visages des personnages sont grossièrement incrustés sur de la prise de vues directes pour un résultat visuellement hideux. Pour Tezuka, cette scène se voulait être une référence à la série américaine Clutch Cargo (1959-1960) diffusée à la télévision japonaise, célèbre pour son animation ultra-limitée et ses incrustations de bouches d’acteurs sur des images dessinées ; le réalisateur a d’ailleurs admis que cette introduction, au-delà de la plaisanterie d’initiés, ne marche pas. Il regrette également être resté trop proche de la réalité historique, ayant espéré pouvoir s’approprier davantage l’histoire de Cléopâtre. De ce fait, l’alchimie du résultat final, oscillant à l’excès entre réalité et réinterprétation burlesque, a pu constituer aussi bien un attrait pour certains spectateurs qu’un frein pour d’autres.

Mais le coup de grâce fut porté par la Nippon Herald et sa campagne publicitaire hors de propos : en raison du caméo d’Astro Boy évoqué plus haut, la firme crut bon de faire figurer son nom sur les affiches (« Astro Boy est désormais un film pour adultes »), ce qui eut pour effet de diviser le public plus qu’autre chose. D’un côté, les fans du personnage se sentirent trompés et réservèrent un mauvais accueil au film tandis que de l’autre, les détracteurs d’Astro préférèrent s’en tenir éloignés.
La carrière internationale de Cleopatra ne fut guère plus brillante que celle de son prédécesseur et Mushi Production se retrouva dans une situation financière très précaire. Dans une tentative désespérée de rattraper le coup, parmi les distributeurs qui ne savent toujours pas comment exploiter un film d’animation pour adultes, une petite compagnie américaine du nom de Xanadu Productions tentera une sortie en salles en 1972. Le film fut ramené à un montage d’1h40 (encore une fois), doublé en anglais à la va-vite et présenté sous le titre Cleopatra, Queen of Sex avec un classement X (interdit aux moins de 18 ans) ; classement purement marketing puisque celui-ci fut établi sans être passé par la commission de la Motion Picture Association of America. Cleopatra aurait donc pu être le premier long-métrage animé du genre si cette classification avait été officiellement validée... et si Fritz the Cat ne lui avait pas grillé la politesse 12 jours avant sa sortie ! Si Tezuka sera d’abord outré par cette représentation extrêmement racoleuse de son œuvre, il s’amusera par la suite du fait que les spectateurs américains, insatisfaits de la promesse de sexe clamée sur les affiches, demandèrent à être remboursés ; cette anecdote fait office d’écho délicieusement ironique entre la façon dont les personnages du film voient Cléopâtre (un outil pour arriver à leurs fins politiques et/ou sexuelles) et ce qu’elle est en réalité (un être humain avec des émotions).

Mushi Production et la Nippon Herald, rodés par leur premier film, espéraient un nouveau succès pour mettre en chantier un troisième opus mais l’accueil de Cleopatra mit fin à l’aventure. Alors que le maître décide d’aller fonder Tezuka Productions de son côté, Eiichi Yamamoto allait faire prendre à Animerama une toute autre direction avec La Belladonne de la tristesse...

Auteur : Klaark
Modifs/Ajouts : Captain Jack
Sources :
http://cartoonresearch.com/
Osamu Tezuka, Banc-Titre n°44
https://tezukaosamu.net/ https://tezukaosamu.net/
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Cleopatra © Osamu Tezuka / Mushi Productions, Nippon Herald
Fiche publiée le 27 mars 2019 - Dernière modification le 30 mars 2019 - Lue 7668 fois